Sa critique : Dire que le monde selon Ken Loach est manichéen est un euphémisme ! A gauche, nous avons toujours l’homme simple, biberonné aux valeurs ouvrières d’honnêteté, de solidarité et de débrouillardise et à droite, un système aveugle, imbécile et destructeur. Que cette vision binaire du monde soit simpliste lui accorde évidemment la lisibilité que Loach recherche, son message étant voué à toucher la masse plutôt que l’élite cinéphile, et n’empêche aucunement la démonstration d’être pertinente. Loach ne cherche pas la complication, c’est exact, il cherche à provoquer des émotions simples, lisibles (ce que, dans le même créneau, les Dardenne ne parviennent jamais à faire) : le rire (jaune) devant ces fonctionnaires de l’agence pour l’emploi, qui font mécaniquement rentrer ceux qu’ils sont supposés aider dans les cases qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs chiffrés sans jamais devoir tenir compte des situations particulières ; l’émotion et l’empathie pour cet homme, pris dans un enfer administratif inextricable, qui considère pourtant comme naturel d’aider autant que possible la mère célibataire avec enfants qui vient d’emménager à côté de chez lui ; la colère face à cette organisation vicieuse qui oppose les individus au nom de règles absurdes élaborées en haut-lieu, et fait fi de la plus élémentaire humanité. Il ne cherche pas la complication mais la vérité, SA vérité en tout cas, puisque ‘Moi, Daniel Blake’ se base sur un long travail de documentation sur les aberrations générées par la réforme du système de prestations sociales britannique en 2008, qui renvoya sur le marché de l’emploi toute une catégorie de personnes pourtant considérées comme trop malades ou handicapées pour travailler, avec l’obligation, sous peine de sanctions, de trouver au plus vite un travail qui n’existait bien souvent pas : il s’agit donc d’un ensemble de situations réelles, synthétisées au sein d’une histoire et d’un personnage fictifs. ‘Moi, Daniel Blake’ est un cri d’alerte contre cette tendance à broyer les individus, à les humilier pour leur faire payer un statut auxquels ils ne peuvent pourtant pas grand chose, qui pourrait bien devenir la norme partout en Europe si on n’y prend pas garde. Si le cinéma de Loach répercute toujours avec la même intensité la colère et le désespoir de ceux qui tentent de rester debout face à l’inhumanité prédatrice de la société libérale, à plus de 80 ans et pour ce qui sera sans doute son ultime film, le vieux gauchiste semble pour la première fois douter du Grand soir, et du triomphe final des valeurs pour lesquels il a lutté toute sa vie. Cette note mélancolique et fataliste n’en rend le résultat que plus poignant.
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